L’hiver arrive en Silésie, qui est le cœur industriel de la Pologne. Pour être au chaud pendant les longs mois d'hiver, la plupart des résidents brûleront du charbon dans leurs poêles pour chauffer leurs maisons. 

Pendant plus de deux siècles, toute la culture silésienne tournait autour de l’extraction de charbon, d’autant que celle-ci faisait partie intégrante de l’identité régionale. Par le passé, les empires austro-hongrois et allemand se sont disputés ses réserves riches en charbon, tandis que l'empire russe se concentrait sur la partie orientale de la Pologne. Depuis le 13ème siècle, des germanophones habitent dans la Haute-Silésie, aux côtés des groupes slaves et juifs. Dans la période qui a précédé la première guerre mondiale, de nombreuses villes portaient des noms allemands, des sociétés minières et des entreprises allemandes se sont établies dans les villes de Hindenburg in Oberschlesien (Zabrze), Beuthen (Bytom), Gleiwitz (Gliwice), et Kattowitz (Katowice). Avec l’établissement de la deuxième République polonaise en 1918, le statut politique de la Silésie est resté contesté pendant l’entre-deux-guerres, notamment pendant les insurrections de 1919–1921. C’est près de Katowice que plus d’un million des personnes furent assassinées à Auschwitz pendant l'Holocauste.

Le 4 décembre 2019, des mineurs de charbon lors d'un défilé en l'honneur de Sainte-Barbe, la sainte protectrice des mineurs de charbon près de la ville de Bytom.

Le 4 décembre 2019, des mineurs de charbon lors d'un défilé en l'honneur de Sainte-Barbe, la sainte protectrice des mineurs de charbon près de la ville de Bytom.

L’ère communiste a apporté de nouveaux défis et conflits dans la région. La force industrielle de la région a servi à soutenir l'économie soviétique. 

Dans les années 80, la loi martiale a été instaurée en Silésie par le gouvernement en réponse aux manifestations des ouvriers. Pendant cette période, l’esprit des travailleurs perdure. Jerzy Kukuczka, le célèbre alpiniste de Katowice, peignait les cheminées des usines pour récolter les fonds nécessaires pour voyager dans l’Himalaya. Ses expéditions courageuses aux sommets sont considérées comme parmi les plus grands exploits de l’histoire de l’alpinisme.  

Si l'histoire de la Silésie a été transformée par les conflits, sa culture a également bénéficié d'une position particulière comme carrefour de l'Europe. La Silésie est notamment connue pour sa riche tradition musicale, depuis les villages jusqu’à l’opéra. Des artistes ont transformé l’expérience industrielle des Silésiens en œuvres émouvantes, comme on peut le voir au musée de la Silésie à Katowice où le lien entre l’exploitation du charbon, l’industrie et l’essence de la culture silésienne est mis en évidence. Une tradition populaire qui demeure est le défilé de la fête de la Sainte-Barbe, qui a lieu en l’honneur de la patronne des mineurs de charbon tous les 4 décembre.

 
Le défilé de la fête de Sainte-Barbe à Katowice, le matin du 4 décembre 2019.

Le défilé de la fête de Sainte-Barbe à Katowice, le matin du 4 décembre 2019.

Une sculpture fait de charbon, Musée de la Silésie, Katowice (Aleksander Filipek, artiste).

Une sculpture fait de charbon, Musée de la Silésie, Katowice (Aleksander Filipek, artiste).

Le 24e conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques est ouverte officiellement dans le stade du Spodek à Katowice, par le Secrétaire général des Nations unies António Guterres.

Il était en présence des dignitaires et des délégués du monde entier, dont le président polonais, Andrzej Duda. Dans 12 jours, une résolution permettant la mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015 devrait être adoptée. Loin de la métropole parisienne, Katowice semble être un choix modeste pour un évènement d’une telle importance. Cette fois-ci, les chefs d’État du G20 seront absents et le travail semble avoir été confié aux équipes de négociation.  

Pendant la conférence, la fumée du charbon est palpable dans les quartiers de Katowice. La ville est connue pour ses niveaux de pollution élevés. Trente-trois villes polonaises, dont Katowice, figurent parmi les cinquante plus polluées d’Europe. En Pologne, le charbon contribue à 92 % de la production électrique et 89 % du chauffage : il s’agit du deuxième pays consommateur et producteur du charbon en Europe après l’Allemagne. Des morts prématurées et des niveaux de cancer élevés sont les conséquences de cet environnement. Dans le voisinage de Bytom et Zabrze, où la pollution est particulièrement forte, le slogan « Black to Green » ( « Noir au Vert ») affiché sur la place centrale de Katowice semble n'être qu’un plan marketing. Trois mois avant les négociations, les entreprises énergétiques ont tenu une « pré-COP » dans le stade Spodek pour contrer le sommet à venir, selon l’activiste et résident de Katowice, Peter Maslanka. Est-ce que le pays hôte de la COP24 transforme sincèrement son économie, ou a-t-il joué un rôle central dans les négociations pour des raisons politiques ?

 
L'aciérie de Bobrek, près de Bytom, vingt minutes par train de Katowice.

L'aciérie de Bobrek, près de Bytom, vingt minutes par train de Katowice.

Des pèlerins marchent sur la route vers Bytom. La politique d'extrême droite est en hausse en Pologne. Dieter, au premier plan, est né sous le Troisième Reich et a survécu l'attentat à la bombe incendiaire de Dresde dans son enfance.

Des pèlerins marchent sur la route vers Bytom. La politique d'extrême droite est en hausse en Pologne. Dieter, au premier plan, est né sous le Troisième Reich et a survécu l'attentat à la bombe incendiaire de Dresde dans son enfance.

Au début des négociations de la COP24, un groupe de pèlerins religieux parcourait la Silésie pour manifester en faveur de la justice climatique et appeler à un résultat ambitieux au sommet de Katowice. 

Les membres du 3ème Groupe œcuménique pour la justice climatique ont commencé leur périple dans la ville de Bonn le 9 septembre 2018. Un des organisateurs, Wolfgang Löbnitz de Hambourg a observé : « En Pologne, certains d’entre nous ont été hébergés dans des familles qui travaillent dans l’industrie charbonnière. Nous voulons que le gouvernement anticipe et fasse les changements structurels nécessaires avant que les mines ferment. Cela signifie qu’il faut créer une nouvelle industrie correspondante avec de nouveaux emplois. Sans nouveaux emplois, la « paix du charbon » [sic] ne peut être garantie et cela doit être évité à tout prix. De même pour l’Allemagne, quand les mines de charbon fermeront définitivement, nous ne pouvons pas laisser 10 000 mineurs à leur sort. »

Peter Maslanka ajoute : « C'est une région très importante pour la Pologne, la deuxième région la plus peuplée, avec une histoire vraiment forte basée sur le charbon, et en tant qu'orateur sur le climat, je réalise que la société ici est très polarisée par les médias, par d'autres choses, et beaucoup de gens pensent que la tendance est de tuer les mineurs, ou les mines, comme notre Premier ministre l'a dit il y a quelques jours. Ce n'est pas ça, le charbon est l'un des types d'énergie les plus efficaces, et vous pouvez le stocker, il était donc normal qu'après la révolution industrielle, ce soit le charbon qui ait été le moteur du développement et nous ait donné beaucoup de possibilités... il a développé le monde. On ne peut pas enlever ça au charbon. Cela nous donne beaucoup d'avantages, mais aussi beaucoup de désavantages, et l’histoire que raconte le parti au pouvoir, c’est que des méchants veulent tuer l'industrie minière polonaise, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Nos mines sont déjà en train de mourir, nous avons vendu quelques mines à la République tchèque. Chaque année, le parti au pouvoir donne au moins 4 milliards en monnaie polonaise (environ 900 millions d'euros) de nos impôts pour soutenir l'exploitation minière. »

À Katowice, de nombreux représentants d’ONG et d’activistes sont rassemblés pour partager leurs idées et influencer la conférence. Al Gore, ancien vice-président des États-Unis et Greta Thunberg, la lycéenne suédoise qui a commencé la grève pour le Climat, font partie des orateurs les plus célèbres. Bien que l’accès au stade du Spodek soit strictement limité aux titulaires d’une accréditation de la CCNUCC, de nombreux observateurs et membres des organisations indépendantes ont réussi à obtenir le sésame en s’y prenant à l’avance. 

 
Johan van Werven, de Hollande, prépare avec d'autres pèlerins français et allemands à la manifestation pour la justice climatique dans le centre de Katowice.

Johan van Werven, de Hollande, prépare avec d'autres pèlerins français et allemands à la manifestation pour la justice climatique dans le centre de Katowice.

Pendant ce temps, les autorités polonaises ont assuré une présence policière énorme dans la capitale silésienne. 

Une seule manifestation publique a été autorisée pour les activistes internationaux, le samedi 8 décembre : ils ont été accueillis par des centaines de policiers en tenue anti-émeute. Les manifestations spontanées étaient interdites, et les autres événements confinés dans des espaces certifiés. Bien que cela puisse sembler une mesure raisonnable pour protéger les délégués et permettre le bon déroulement du sommet, le parti politique au pouvoir “Droit et justice” est connu pour sa tendance croissante à réduire les libertés civiles des citoyens. Les patrouilles policières et les postes de contrôle étaient omniprésents dans la ville pendant les pourparlers, les hélicoptères militaires survolant parfois la ville. Un délégué de la Géorgie se serait vu interdire d’entrer dans le pays à l’aéroport international de Katowice, il y serait resté pendant les négociations en signe de protestation. Des témoignages de l'activité de la police secrète dans les cercles d'activisme ukrainien et polonais ont également été recueilli.

 
La police anti-émeute sur la route menant au centre de conférence abritant les négociations de la COP24 lors de la marche pour la justice climatique, le 8 décembre.

La police anti-émeute sur la route menant au centre de conférence abritant les négociations de la COP24 lors de la marche pour la justice climatique, le 8 décembre.

Dans le restaurant Złoty Osiol (l’Âne Doré) sur le Mariacka, dans le centre-ville de Katowice, le soir du vendredi 14 décembre, un groupe de délégués européens partage un dernier repas avant la decision finale de la conférence.

Après presque deux semaines pendant lesquelles les journées étaient remplies de réunions au Spodek et de trajets en navette, ils paraissent contents d’avoir une pause et impatients de terminer les négociations. Ils attendent confirmation par SMS de l’heure de reprise des négociations, déjà reportée à 4h du matin. Pendant les négociations, les États-Unis, la Russie, l’Arabie Saoudite et le Koweït ont bloqué les négociations en refusant d'accepter un rapport reconnaissant l'action humaine comme une cause du changement climatique. De plus, le Brésil a retiré son invitation d’accueillir la COP25 de 2019 à Rio de Janeiro. Alors que de nombreux délégués de l’Union européenne s’étaient prononcés en faveur d'un “rule book” ambitieux pour mettre en œuvre l’Accord de Paris, la résolution finale est aussi affectée par des facteurs échappant à leur contrôle.

Le jour suivant, on annonce que les négociations ont donné naissance au « Katowice Rulebook. » L’Accord de Paris vivra et sera mis en œuvre, mais le mécanisme reste mis en doute. Les réactions de la presse internationale sont variées. Pour The New York Times, « Les négociateurs parviennent à un accord dans les heures supplémentaires et réussissent à garder l’Accord de Paris en vie ». Pour El Pais, « Le sommet sur le climat se termine sur un accord peu ambitieux pour éviter l’échec. » Le Monde est assez sceptique et s’interroge « La COP24, un sommet sur le climat pour rien ? ».

Maciej Psych Smykowski, chef du Parti Vert de Katowice, et organisateur d'un restaurant temporaire pendant la COP a partagé sa déception : « Maintenant nous savons que ce n'est pas si ambitieux... à cause des Etats-Unis, de la Russie, du Brésil, et de ces pays qui ne veulent avoir que leurs propres problèmes et qui ne veulent pas partager avec d’autres pays la responsabilité de protéger l'environnement dans le monde entier. Donc, de ce point de vue, je ne suis pas très heureux après la COP, parce qu’il reste beaucoup de choses à finir, et ils n'ont pas fini grand chose alors que certaines personnes étaient là pendant deux ou trois semaines. » 

 

À environ 150 km au nord de Katowice se trouve la centrale de Bełchatów, la plus grande centrale de charbon d’Europe. 

Entourée par des mines de lignite à ciel ouvert, le colosse produit 20 % de la demande électrique polonaise. Avec 34,9 tonnes d’émissions de CO2 estimées en 2017, elle émet plus de gaz à effet de serre que de nombreux pays. De plus, l’organisation Europe Beyond Coal estime que cette centrale est responsable de 489 décès prématurés chaque année à cause de la pollution. Hormis les barrages de police et le niveau de sécurité élevé sur les routes voisines pendant la conférence, rien ne semblait avoir changé à Bełchatów.

De retour à Katowice le 17 décembre, des ouvriers sont occupés à enlever les grands drapeaux nationaux qui avaient été collés sur un des bâtiments à côté du Spodek. Dans une poubelle à proximité on peut trouver des dossiers sur les énergies renouvelables. C’est comme si le rideau était levé et les mécanismes d'un spectacle mis à nu. Pour de nombreux habitants de Katowice, la COP24 ne fut qu’un événement de plus organisé au Spodek. Pour d’autres, ce fut un moment important dans leur carrière, leur éducation ou leur vie spirituelle. Pour le monde, les conséquences restent incertaines.